05/06/2012
Nos (pas dernières mais presque) lectures
Je m'appelle Mina
David Almond, trad. Diane Ménard
Gallimard jeunesse - 14,50 €
Skellig était le premier roman que publiait David Almond. Paru chez Flammarion en 2000, c’était un court roman, intriguant, effrayant, formidable. Au cœur de textes souvent sombres en apparence (Glaise, Le jeu de la mort, Le cracheur de feu), il me semble aujourd’hui que c’est peut-être, justement, de lumière dont il a souvent été question par la suite. Par le biais de personnages souvent complexes, et parfois comme en-dehors du monde (à l’image du héros de Sauvage, le roman illustré par Dave McKean et primé par les Sorcières en 2011), David Almond approche, avec une force et une poésie rares, la question de l’imagination. La puissance que ça peut avoir, dans une vie, l’imagination.
Je m’appelle Mina fait écho à Skellig. Il le précède (mais nul besoin en revanche d’avoir lu Skellig pour lire Mina – si ce n’est que Skellig est l’un des meilleurs livres jeunesse que je connaisse). C’est le journal intime de Mina, et c’est aussi un objet, étrange au premier abord, déroutant sans aucun doute, qui joue sur les typographies, la mise en pages, comme Mina joue avec les mots. Difficile d’en dire plus, pour moi c’est un petit chef-d’œuvre, et depuis peu j’ai la définition du chef-d’œuvre : il y a tout, dedans. Quelqu’un que l’on ne connaît pas, qui habite un ailleurs où l’on n’a jamais été, qui vit des choses que l’on n’a jamais vécues, et pourtant.
Joe Millionnaire
David Walliams, Tony Ross, trad. Valérie Le Plouhinec
Witty, Albin Michel jeunesse - 12,50 €
D’après The Times, David Walliams est « le nouveau Roald Dahl. » Et on serait plutôt d’accord (on attend quand même les suivants). Joe Millionnaire est le roman drôle (très drôle), original, sensible, intelligent, attachant… qu’on attendait pour les jeunes lecteurs.
Joe Patate est le garçon de douze ans le plus riche du pays, grâce à la fabuleuse invention de son père, le papier toilette « Fess O’Frais ». Tout ce qu’il pouvait souhaiter, Joe l’avait. 500 paires de Nike, un bowling dix pistes, un vrai requin en aquarium, tout. Mais il paraît que, dans la vie, quand on a tout, forcément, il manque quand même quelque chose. Un ami, par exemple (et un vrai).
Joe Millionnaire est croqué par Tony Ross et édité dans une nouvelle collection, Witty, qui accueille également un autre titre très réussi, Madame Pamplemousse et ses fabuleux délices. Quelques illustrations intérieures en noir et blanc, une mise en page aérée et tout le talent de l’auteur pour intégrer au roman toutes sortes d’onomatopées et de listes délirantes, du genre « Si votre nom figure ou pourrait figurer dans la liste ci-dessous, il est très important que vous ne vous lanciez jamais, jamais, dans une carrière d’enseignant : Jean Bonneau, Ray Aumilieu, Kelly Diott… ».
Grodoudou et moi
Didier Lévy, Selma Mandine
Mes premiers albums, Gautier-Langereau, 6,99 €
Grodoudou et moi était paru à l’automne 2011 dans un très grand format cartonné. Puis on l’a vu arriver en plus petit. Grodoudou, c’est le plus grand et le plus gros doudou du monde. C’est un texte génial à lire aux tout-petits, avec juste ce qu’il faut d’humour, de malice et de tendresse.
Traverser la nuit
Martine Pouchain
Expri'm, Sarbacane - 15,50 €
Traverser la nuit s’ouvre sur une citation de Steinbeck. Et ce n’est pas étonnant. On trouvait déjà, dans le précédent roman de Martine Pouchain (La Ballade de Sean Hopper), ce climat si particulier propre aux textes de Steinbeck ou Faulkner, ce truc très sombre qui collait au lecteur et ne le lâchait pas, jusqu’à la fin. Sauf qu’ici, c’est pire. Ça commence mal (Jacques Jaron est retrouvé assassiné dans le petit village picard d’Etrenjoie) et ça termine mal. Et la fin, on ne s’y attendait pas du tout. On n’en revient pas.
Le talent de Martine Pouchain, ce serait presque de faire oublier le crime. Dans ce petit village, elle met en place une foule de personnages (le jeune flic, la fille de l’assassiné, le maire, l’idiot, la tenancière du café…) et s’applique à les observer, puis les creuser. Et comme c’est une écriture très cinématographique, on dirait presque un film, entre Chabrol et Eastwood. Un très bon film.
Emile est invisible
Vincent Cuvellier, Ronan Badel
Giboulées, Gallimard jeunesse - 6 €
Des éclats de rire immenses qui résonnent dans la librairie ? c’est Émile, c’est certain. Le nouveau petit personnage, imaginé par Vincent Cuvellier et croqué avec talent par Ronan Badel, c’est du pur concentré de fou rire, garanti. Deux aventures pour le moment (la première ayant pour titre Émile veut une chauve-souris), dont l’une un peu plus désopilante que l’autre, nudité oblige.
Car aujourd’hui, Émile est invisible. C’est décidé. « À midi, plus personne ne pourra le voir ». Parce qu’à midi, maman fait des endives.
Et décidément, plus on relit Émile, plus on le trouve parfait. Le bon ton, le bon format, le bon dessin… Tout est là. Vive Émile.
Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?
Jeanette Winterson
L'olivier - 21 €
Et puis (mais pas du tout en littérature jeunesse, entendons-nous bien), il y a ce livre magnifique, bouleversant (et je voudrais même - oui oui - n'avoir jamais écrit ces deux adjectifs pour d'autres livres, ou plutôt, sans doute, en trouver sur le champ deux autres jamais utilisés avant), qui m'a tenue éveillée presque toute une nuit.
(l'article de Nathalie Crom ici)
"je crois à la fiction et au pouvoir des histoires parce qu'ils nous donnent la possibilité de parler de nouvelles langues. De ne pas être réduits au silence."
"raconter une histoire permet d'exercer un contrôle tout en laissant de l'espace, une ouverture. C'est une version, mais qui n'est jamais définitive. On se prend à espérer que les silences seront entendus par quelqu'un d'autre, pour que l'histoire perdure, soit de nouveau racontée.
En écrivant, on offre le silence autant que l'histoire. Les mots sont la part du silence qui peut être exprimée".
(Jeanette Winterson)
14:19 Publié dans lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : je m'appelle mina, joe millionnaire, emile est invisible, traverser la nuit, grodoudou et moi, pourquoi être heureux quand on peut être normal
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